Ici, au Réseau Wallon de lutte contre la pauvreté, dont Christine Mahy est la Secrétaire générale, on dit que la pauvreté, ce n’est rien d’autre que la privation de l’accès à des richesses matérielles, immatérielles et naturelles.
Et que la pauvreté au travail, c’est un trop peu de revenus et de reconnaissance pour n’avoir ni choisi son boulot ni sa pénibilité ni les horaires décalés, les horaires variables ou les temps coupés qui contraignent à une gymnastique incessante et harassante qui tue les temps des salariés et le capital humain. De sorte, dit Christine Mahy que malgré tout ce que l’on peut penser, ce ne sont pas les gens qui s’éloignent de l’emploi, mais c’est l’emploi qui s’éloigne des gens…
Et cela, je l’ai entendu partout, dans chaque rencontre que j’ai faite pour ces chroniques : que nous aurions donc une vision trop orthodoxe du travail, où le hors-jeu n’est pas agréé, où la force de production prime, où les talents ne sont pris en compte qu’en fonction de leur utilité économique. Où l’on gâche des ressources, où l’on se passe des savoirs et des enthousiasmes. Pourtant, dans mon voyage, je n’ai rencontré personne qui m’ait dit que malgré les souffrances et malgré les injustices, il ne renoncerait cependant à ce semblant d’identité sociale que donne ce sous-statut de travailleur au rabais.
Les fermiers précaires, par exemple, malgré les factures impayées et le lait qui ne vaut rien, continuent d’aller à la fourche… De sorte que, dans cette société où l’on vante l’effort et le mérite, l’on finit par se demander qui, effectivement, fait le plus d’effort et qui est le plus méritant, par exemple, du directeur de groupe bancaire qui avoue n’avoir qu’une connaissance superficielle des matières dont il s’occupait ou de la technicienne de surface qui cherche des heures pour finir à 1100 euros pas mois.
Et là, je laisse la parole à Patrick, qui a fait tous les chemins de formation et d’insertion, tous les petits boulots trouvables, enfin cette route du travailleur pauvre qui ne trouve que du pauvre travail et qui me dit : " Il ne faut pas laisser l’avenir à ceux qui vous disent qu’il faut vous lever tôt. Vous avez beau vous lever tôt, vous n’avez quand même pas d’avenir ".
C’est comme ça, dirions-nous, depuis que l’emploi semble être devenu l’ultime production du travail. Peu importe alors la qualité de l‘emploi du moment qu’il existe. Et je repense à cette autre chose que m’avait dit Patrick : " Occupez-vous de changer le travail, nous nous chargerons de sortir tout seuls de la pauvreté ". De fait. Et, à un moment, cela oblige par exemple à se demander si un ouvrier qui fabrique, disons, des produits nocifs est plus ou moins utile à la société qu’un sans emploi qui fait tous les jours les courses pour les vieux de sa rue ? Ce que fait d’ailleurs Patrick. A un moment, effectivement, ce sont des questions comme celles-là qu’il faudrait oser poser. Mais à qui ? C’est une assez bonne question, je trouve, pour terminer ces chroniques.
Paul Hermant